Le temps de la maturité
Entre 2010 et 2020, le numérique n’a cessé de se diffuser et d’imprégner nos vies personnelles comme professionnelles, tous secteurs confondus. Parmi les multiples exemples, citons les villes qui ont massivement enclenché leur mue vers les smart cities ; le secteur industriel qui prend à bras le corps la convergence de l’IT et de l’OT ; le secteur de la santé, qui se transforme et exploite les opportunités offertes par le digital pour améliorer les parcours de prise en charge et d’accompagnement ; l’État français qui dématérialise les 250 démarches phares les plus utilisées grâce au programme Action publique 2022 ; sans oublier bien sûr les réseaux sociaux et les applications de messagerie instantanée, devenus incontournables dans les échanges quotidiens.
Les apôtres de la technologie prédisaient en 2011 que le logiciel allait dévorer le monde et que chaque entreprise devrait se convertir en « software company ». Or, les innovations de rupture opérées par Airbnb ou Uber, au milieu des années 2010, ont fini par transformer ces déclarations visionnaires à l’époque en réalités communément admises par tous.
La décennie écoulée s’est donc caractérisée par l’adoption massive du numérique. Avec celle qui débute, vient le temps de la maturité. L’aveuglement face à la nouveauté et la fascination éprouvée pour les innovations techniques cèdent progressivement la place à une vision plus distanciée. Nous nous interrogeons désormais sur les finalités de ces progrès et en appelons à la responsabilité : écologique tout d’abord (responsabilité de l’homme vis-à-vis de la planète), sociale (responsabilité de l’homme vis-à-vis de ses semblables) et enfin éthique (responsabilité de l’homme vis-à-vis des artefacts qu’il crée et des conséquences de leur usage).
Numérique et responsabilité écologique
La maturité des citoyens quant à l’impact du digital sur l’écologie est en forte progression, comme le mesure le Baromètre du Numérique. Le secteur des télécoms et celui de l’IT relèvent le défi du Green IT notamment en proposant des solutions de réduction de leur empreinte carbone aux autres secteurs. Parmi elles, des réseaux moins énergivores grâces aux avancées de la virtualisation (SDN et NFV), des stratégies de mutualisation des infrastructures, le free cooling et la ré-exploitation de la chaleur produite par les datacenters, ou les prometteuses architectures Multi-Access Edge Computing (MEC). Ces dernières, au lieu de multiplier les appels au cloud, opèrent le traitement des données et les calculs sur l’équipement en local (« edge »). Sans oublier l’optimisation des infrastructures permise par l’internet des objets (IoT) : smart mobilités, bâtiments intelligents, monitoring et gestion urbaine, smart grid.
Numérique et responsabilité sociétale
L’un des enjeux du numérique est sa contribution au désenclavement des territoires et à l’inclusion des publics par l’accès à l’information et à l’éducation ainsi que par la capacité à participer à la vie de la société. Un exemple ? Le développement de la téléconsultation permet de réduire les problèmes d’accès aux soins dans les espaces considérés comme des déserts médicaux.
Par ailleurs, un pan entier du secteur du numérique se propose de relever les défis sociaux et en fait même son cheval de bataille principal : la « Tech for good ». À travers un programme de mécénat de compétences, Orange Consulting accompagne par exemple trois initiatives de l’association ShareIT. MeetMyMama offre un service de traiteur aux entreprises réalisé par des cuisinières de cultures étrangères, Entourage propose une plateforme de CV de candidats exclus du marché de l’emploi et Acacias for all permet de suivre en temps réel les filières de production agroécologiques et de mesurer leur impact.
Numérique et responsabilité éthique
Les innovations technologiques peuvent faire émerger de nouvelles questions éthiques quant à la responsabilité des options considérées, des choix effectués et des conséquences de ceux-ci. Les possibilités offertes par le renouvellement de l’algorithmique et certains pans largement investis ces dernières années par le machine learning font par exemple surgir de nouveaux dilemmes. Parmi les plus médiatisés : les décisions des futurs véhicules autonomes et la responsabilité juridique de ces « décisions » prises par l’intelligence artificielle.
Au-delà de ce dilemme finalement peu représentatif des enjeux statistiques, l’effet « boîte noire » engendré par les modèles actuels de deep learning est bien plus préoccupant. La question n’est pas seulement celle de la reproduction du raisonnement ayant abouti au résultat et donc de savoir expliquer et évaluer celui-ci. Elle est aussi celle d’un apprentissage comportant des biais que l’algorithme reproduira.
Quelle adaptation de la part des acteurs ?
La prise de conscience de cette triple responsabilité, née lors de la dernière décennie, ne conduit pas tant à une révolution dans les pratiques qu’à une adaptation raisonnée et progressive de la part des entreprises. Cette adaptation s’illustre notamment par un recentrage sur les besoins les plus valorisés par l’utilisateur final, une logique de simplification concourant également à une plus grande agilité et une prise en compte d’une dimension éthique supplémentaire.