Petit tour d’horizon :
Des services Blockchain Santé qui se développent autour de domaines d’usages clés. En observant les projets actuels, initiatives et services proposés sur le marché, les domaines d’application de Blockchain en Santé se concentrent autour de grandes familles d’usages pour l’ensemble des acteurs.
La gestion de l’accès aux données de santé (dossier patient)
Ici l’idée est d’utiliser la Blockchain pour garantir la sécurité des données de santé ou des transactions sur ces dernières. Un exemple marquant est celui du gouvernement Estonien qui utilise la Blockchain pour gérer l’ensemble des dossiers médicaux personnels et les e-prescriptions de ses 1,3 M d’habitants. Dans cette idée, la Blockchain peut aussi servir à l’interopérabilité des données, en concentrant dans un registre unique, standardisé et partagé l’ensemble des données utiles à tous les acteurs (patients, médecins, labos, assurances…) tout en redonnant au patient la maîtrise de ses données et le contrôle de qui y accède. On peut citer dans ce type d’usage les initiatives de Bithealth ou celle de Medical Chain et de Patientory. Avec ces dispositions, des « places de marché » de données de Santé pourraient ainsi se développer pour permettre aux patients de valoriser ces dernières en toute sécurité et avec leur consentement, comme le propose SimplyVitalHealth avec son service « Health Nexus ».
La certification/traçabilité de données, de processus, d’objets ou de produits de Santé
Avec ses mécanismes assurant la transparence et l’historisation irrépudiable des transactions, la Blockchain peut être un bon support pour sécuriser la supply chain industrielle en Santé, en traçant et en vérifiant les conditions de production ou d’acheminement des produits de Santé (médicaments, produits biologiques…) depuis l’usine du labo jusqu’à la pharmacie, grâce à l’utilisation d’objets connectés à la Blockchain (ex : capteurs de géolocalisation sur les produits, mesure de température pour respect de la chaîne du froid…).
Ces mécanismes permettent également de contrôler les transferts de responsabilité à chaque étape entre acteurs de la chaîne ou encore de réduire le temps et le nombre des procédures administratives avec l’utilisation des smart contracts. C’est ce que propose par exemple le projet MediLedger aux USA avec un réseau Blockchain conforme à la réglementation américaine notamment sur l’obligation des « sealable returns » pour la remise dans le circuit de médicaments non utilisés. En France, le futur projet national BPVS (Blockchain Pharmaceutique Vallée de Seine, initié par Matignon et confié à la startup Mezzonomy) comporte également un volet sur l’optimisation de la filière pharmaceutique notamment sur les aspects de logistique des médicaments.
On peut également imaginer des services Blockchain pour lutter contre la contrefaçon de médicaments, en permettant de vérifier et garantir leur provenance, ou encore d’authentifier des ordonnances médicales, des prescriptions électroniques, et permettre de déclencher automatiquement les remboursements par les mutuelles ou assurances Santé avec des smart contracts vérifiant la bonne réalisation de soins, comme le propose la société Luxoft.
Les usages collaboratifs en Santé et recherche médicale
Dans la recherche médicale, de plus en plus collaborative et basée sur de l’innovation ouverte entre plusieurs acteurs, les principales difficultés résident souvent dans le recueil et la constitution des bases de données d’étude, dans la coordination des travaux puis dans le partage des fruits des résultats. La Blockchain pourrait servir à améliorer les conditions de collaboration sur des travaux de Santé, en permettant d’alimenter dans des espaces centralisés l’ensemble des contributions de différents chercheurs à un même sujet de recherche, de façon sécurisée (alimentation en données d’études traçables, d’hypothèses…). Ce faisant, les contributions de chacun à l’atteinte du résultat de l’étude pourraient être authentifiés, et pourquoi pas déclencher une rétribution de chaque scientifique à hauteur de ses apports, là encore grâce à l’utilisation de smart contracts. Le projet de BlockchainHealth vise par exemple à faciliter ce type d’usages en proposant un partage de données patients pour la recherche médicale en mettant en relation chercheurs, patients et développeurs d’applications.
Dans le cadre des études et recherches cliniques, il est aussi possible par exemple grâce à la Blockchain d’assurer une meilleure transparence et une traçabilité dans l’élaboration des protocoles, le recrutement des cohortes de patients tests puis leur bonne observance du traitement durant l’étude, et enfin les étapes de contrôle dans la production des résultats et des analyses. C’est le sens des travaux menés par le Pr Mehdi Benchoufi et ses équipes à La Pitié-Salpêtrière.
Par extension, les patients pourraient aussi devenir contributeurs de la recherche, en apportant leurs données personnelles dans une Blockchain collaborative et être rétribués pour cela, tout en ayant la garantie de contrôler qui accède à ces données et pour quel usage. C’est ce que propose déjà la startup Encrypgen dans le domaine de la recherche génétique.
Enfin, certains projets collaboratifs ont pour objectif de développer des bases d’informations centralisées permettant de faciliter l’accès aux soins ou à des bases de ressources médicales pour améliorer les chances de survie des patients : c’est le cas du projet collaboratif KIDNER qui vise à créer et sécuriser grâce à la Blockchain la recherche et l’identification de paires de donneurs/receveurs compatibles pour les greffes de rein.
Des questions et des freins qui restent à lever pour un essor industriel de la Blockchain en Santé
L’ensemble des initiatives illustrées ci-dessus, quoique pertinentes et prometteuses, sont encore pour la plupart en phase de lancement ou de développement, et il y a aujourd’hui assez peu de services Blockchain Santé industrialisés à grande échelle. Certains facteurs limitants entrent en ligne de compte et devront être adressés par les acteurs de l’écosystème pour accélérer le développement du marché :
- En termes politiques et de gouvernance, la régulation du secteur de la Santé est encore encadrée quasi exclusivement par les autorités centrales nationales. A l’instar des débuts de Blockchain dans le monde financier, ces dernières commencent à s’intéresser aux potentialités de la technologie au travers d’études et d’expérimentations, mais le processus risque d’être long avant que toutes les questions ne soient résolues et que les Etats acceptent d’intégrer cette techno dans la gestion de leurs systèmes de Santé publique ou privée.
- En termes techniques, la Blockchain est pour l’instant assez peu adaptée au stockage de grands volumes de données, avec des limites de performances possibles selon la façon dont elle est conçue. Ceci peut être problématique en Santé, avec des volumes de données et d’échanges en croissance exponentielle, favorisés notamment par l’essor de l’IoT Santé. D’autre part, les données de Santé et leurs formats sont encore trop peu standardisés à une échelle globale pour développer des espaces centraux de données gérés par des Blockchain entre tous les acteurs.
- En termes de sécurité, la Blockchain est extrêmement efficace pour garantir l’inviolabilité des transactions qu’elle gère, mais toute la question est alors reportée sur la gestion de la sécurité à la périphérie et aux interfaces de la Blockchain : en Santé, comment garantir par exemple que les équipements médicaux connectés n’ont pas été détournés pour envoyer de fausses informations, idem pour les données de bases tierces avec laquelle la Blockchain interagit ? Si les données entrant dans la Blockchain sont falsifiées ou de mauvaise qualité, les transactions qu’elle gèrera le seront tout autant et ne pourront pas être dignes de confiance.
- En termes réglementaires, la nouvelle directive Européenne RGPD sur la protection des données personnelles impose par exemple des garanties telles que le droit à l’oubli et l’effacement des données d’un individu par un tiers qui les détient ou les exploite. Or, dans le cas de Blockchain, toute information ou donnée déposée dans la Blockchain ne peut plus en sortir et sera stockée à vie dans le registre. Ceci est évidemment problématique, de sucroît pour les données de Santé hautement confidentielles.
L’ensemble des éléments évoqués ci-dessus montrent de façon claire que le secteur Santé est théoriquement très exposé à une disruption de son écosystème et de ses usages par la technologie Blockchain, qui peut en effet apporter de nombreuses pistes d’optimisations et de réponses à ses enjeux spécifiques. Certes, les contraintes et incertitudes de natures politique, technique ou réglementaire sont encore assez fortes, mais les technologies et les initiatives de services se développent à un rythme tel qu’elles pourraient bien apporter assez vite des réponses aux limites actuelles et permettre de généraliser les nombreuses initiatives Blockchain Santé déjà en cours.
Cette disruption digitale devrait, comme souvent, se développer en premier via les acteurs privés (labos pharmas, med techs, mutuelles et assurances Santé), puis, petit à petit, être intégrées dans les écosystèmes publics dans un deuxième temps.
A court et moyen terme, il va donc être intéressant d’observer comment évolue ce sujet : bien plus qu’une révolution technique, c’est surtout dans l’apparition de nouvelles formes d’organisations, de modèles de régulation économiques ou encore de métiers de l’écosystème Santé actuels qui va représenter le véritable impact de la Blockchain
Et vous, pensez-vous que la Blockchain va vraiment révolutionner la Santé ? Si oui sur quels aspects ?
Pour aller plus loin :
Blockchain : Une technologie disruptive pour le secteur de la Santé ? – Partie 1
Manager au sein du secteur santé chez Orange Consulting, je me passionne pour la révolution de l' e-santé et des nouveaux usages permis par l’innovation technologique et digitale, que je côtoie au gré de nos missions de conseil pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème Santé.