Comme tout changement radical, la transformation numérique des entreprises suppose une période de transition. Deux études récentes, respectivement de la Fing et de l’Institut Montaigne, reviennent sur les enjeux de cette transition, avec en point d’orgue l’avènement du Big data et des objets connectés.
Une transformation est rarement instantanée. Elle suppose une période de transition, qu’il importe de bien négocier pour réussir sa transformation. C’est précisément l’objet du récent rapport de la Fing (Fondation Internet Nouvelle Génération) qui définit l’actuelle transition numérique comme «le basculement d’une entreprise ou d’une organisation vers des formes de production, de travail et d’organisation, d’innovation et de relation aux marchés, de gouvernance… appuyées sur le numérique et les cultures numériques, et adaptées aux pratiques numériques des autres parties prenantes ».
De l’individu à la multitude
La Fing relève au moins deux éléments majeurs de transformation qui s’apprêtent à modifier en profondeur l’organisation actuelle des entreprises :
- l’individualisation et l’éclatement de la sphère du travail
- l’émergence de nouveaux collectifs de travail et de nouvelles entités de production.
Il ne fait aucun doute que le digital transforme le monde du travail et l’individu occupe désormais une place nouvelle dans, mais aussi en dehors, des organisations. Henri Verdier et Nicolas Colin soulignent dans leur ouvrage l’Âge de la multitude que « la principale dimension de la révolution numérique est la puissance désormais à l’œuvre à l’extérieur des organisations, la puissance des individus éduqués, outillés, connectés, la puissance de ce que nous appelons la multitude. Parce qu’elle est extérieure, cette puissance échappe aux organisations. Parce qu’elles doivent apprendre à capter cette puissance, les organisations vont devoir apprendre à concevoir de nouvelles stratégies et à en assurer les conséquences radicales ».
Parmi ces conséquences pour les organisations, la Fing souligne l’émergence de « la mesure comme moteur de transformation » : nouvelles métriques du travail et des activités (mesure de soi au travail et mesure des contributions par les pairs), nouvelles mesures du capital humain (valorisation par les pairs, par son réseau, par son influence et sa notoriété), mais aussi nouveaux indicateurs de valeurs et nouvelles répartitions de la richesse (mesure des externalités négatives ou positives, reconnaissance monétaire ou non-monétaire des activités contributives ou solidaires).
De la multitude au Big data
Acteur incontournable de cette transition numérique, la technologie joue bien sûr elle aussi un rôle central. A la confluence de la mesure et la multitude, le Big data est à cet égard un élément moteur de la transition actuelle. Il « marque le passage de plusieurs seuils : des traitements sur un échantillon à des traitements sur la population entière ; de l’exploration à base d’hypothèse à l’extraction de la connaissance sans hypothèses préalables ; du rapide vers le temps réel » souligne la Fing.
Le changement de paradigme est total et les enjeux cruciaux. Ce n’est donc pas un hasard si le Big data et leurs corollaires, les objets connectés, comptent parmi les 34 priorités de la Nouvelle France Industrielle. Un autre récent rapport, de l’Institut Montaigne cette fois, intitulé « Big Data et objets connectés : faire de la France un champion de la révolution numérique » le souligne d’ailleurs sans ambages : « le Big data et les objets connectés représentent un important potentiel économique qui pourrait devenir un relais de croissance majeur pour nos économies ».
Les auteurs du rapport reviennent notamment sur les travaux de l’économiste Carlota Perez, qui montrent que les développements économiques suivent un cycle binaire : une période d’installation, « marquée par la spéculation, l’explosion des nouvelles technologies et la prédominance du capital financier » - lesquelles débouchent souvent sur des bulles financières - suivie d’une période de déploiement portée « par une adoption de la nouvelle technologie par tous les pans de l’économie ». Après la bulle Internet de 1999-2000, le crack financier de 2008, suivi d’une seconde bulle Internet de moindre ampleur en 2012, « nous serions donc [parvenus] au point de bascule de l’ère numérique ».
Repenser son modèle économique
Après les secteurs immatériels que sont la musique, la vidéo, l’édition, le tourisme, la révolution numérique s’étend désormais à tous les domaines d’activité. Pour les auteurs du rapport de l’Institut Montaigne, « contrairement à l’informatique et à l’Internet, dont la diffusion se limitait au ‘non-physique’, les objets connectés vont permettre au numérique de conquérir le dernier territoire sur lequel il n’avait pas encore d’emprise : le monde réel, celui des produits et du tangible ».
En outre, toujours selon Carlota Perez, la période de déploiement d’une technologie s’accompagne systématiquement d’une transformation radicale de la société. L’étude Transition de la Fing ne dit finalement pas autre chose. Elle évoque « une transformation globale, touchant l’un après l’autre, tous les secteurs de la société et de l’économie, sous l’effet conjoint des nouvelles possibilités technologiques, des nouvelles pratiques sociales numériques, des nouvelles formes de valeur et d’innovation en encore, des évolutions des médias, des institutions et de l’action collective provoquées ou appuyées par le numérique. »
Même son de cloche du côté de l’Institut Montaigne, pour qui « toutes les entreprises doivent repenser leur business model. Un à un, tous les secteurs économiques vont basculer dans l’ère numérique, menaçant les entreprises de disparition si elles n’évoluent pas ». La menace est certes bien réelle, mais le potentiel de création de valeur l’est tout autant. Entre les nouveaux revenus, les gains de temps et de productivité générés, « les objets connectés, associés au Big data, permettent un effet de levier dont les répercussions sur l’économie française pourraient atteindre les 3,6 % de PIB à échéance 2020 et environ 7 % en 2025 ». Selon un chiffrage réalisé par A.T Kearney pour l’Institut Montaigne, « chaque euro investi dans les objets connectés pourrait produire jusqu’à six euros de gain de productivité, de pouvoir d’achat et d’économie de temps monétisés ». Autre estimation porteuse de grands changements : grâce aux gains de temps réalisés sur le ménage domestique, les embouteillages, mais aussi grâce aux dispositifs de prévention santé, A.T Kearney prévoie que « les objets connectés pourraient redonner plus de 10 jours par an aux citoyens à l’horizon 2025 ». 10 jours pour soi, mais aussi 10 jours susceptibles d’impacter grandement le fonctionnement actuel des organisations.
Joévin
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Journaliste, passionné par le digital, j'ai couvert l’actualité numérique au sein de l’équipe digitale d’Orange Business et accompagné le déploiement du dispositif éditorial appliqué aux blogs et aux réseaux sociaux de l'entreprise.