Les défis de l'entreprise étendue

Satisfaction du client, crise financière, pression concurrentielle, contraintes réglementaires.... le cycle de vie et d'évolution des affaires connaît une importante évolution caractérisé par des changements accélérés, généralisés et incertains. Au lieu de résister à ces changements, l'entreprise de demain devra favoriser leur mise en œuvre pour assurer son succès et garder un temps d'avance par rapport à ces transformations. C'est le défi de l'entreprise étendue.


Le changement est permanent

Nous sommes aujourd'hui dans un monde qui évolue en permanence et la capacité d'adaptation aux changements devient la clé de succès des entreprises :
  • Il faut choyer le Client. L'époque ou Monsieur Ford pouvait dire « un client peut demander cette voiture en n'importe quelle couleur, du moment que c'est noir » est bien révolue. Au travers des sites de comparaison de prix et des forum de discussion, le consommateur s'informe avant d'acheter, recherche des produits ou services personnalisés et devient extrêmement exigeant sur son achat et la valeur de celui-ci.

  • Les barrières géographiques et temporelles s'effacent les unes après les autres. En 2009, plus de 24 millions de Français se sont tournés vers Internet pour faire leurs courses. Les ventes en ligne ont progressé de 26% pour atteindre 25 milliards d'euros[1]. Beaucoup de consommateurs ont fait leur emplettes tranquillement le soir et le weekend depuis leur domicile, dans des boutiques de marchands quelque part en France, ou à l'autre bout du monde.
  • La mondialisation entraine une nouvelle répartition des compétences et connaissances. Grâce à la technologie, l'entreprise peut faire « suivre le soleil » à ses processus. Par exemple, les grands intégrateurs informatiques réduisent le temps de réalisation des projets en organisant les développements sur les différents continents. A la fin de la journée de travail de l'équipe européenne, c'est l'équipe asiatique qui prend le relai, suivie ensuite par l'équipe américaine.
  • Le trop plein d'information tue l'information. En 2002, la production de nouvelles données (imprimées, filmées, magnétiques et optiques) a représenté 5 exaoctets, soit la même quantité que l'ensemble des mots parlés par tous les êtres humains depuis l'apparition du langage. En 2007, un cabinet d'analyse a estimé cette production à 285 exaoctets[2] et les chiffres ne cessent de croître.

Dans ce contexte aux limites et contours mal définis, aux nombreuses interdépendances et relations changeantes et aux lois et réglementations multiples, l'entreprise doit se transformer et s'adapter rapidement. Au delà de la réduction des coûts et du contrôle des dépenses nécessaires en cette période d'incertitude économique, pour gagner en compétitivité, restaurer ses marges et maîtriser sa croissance, les directions générales ont bien compris qu'ils doivent redéfinir leur entreprise autour de deux capacités :

  • L'augmentation de l'agilité de l'organisation afin de réagir efficacement et rapidement aux dynamiques des marchés.
  • La stimulation et l'amélioration de l'innovation en facilitant l'exploitation des nouvelles idées des collaborateurs mais aussi des partenaires et des clients.

Redéfinir l'entreprise

Tout concourt à une redéfinition de l'entreprise aujourd'hui vers un modèle qui transcende les barrières physiques, temporelles et organisationnelles : l'entreprise étendue.
 
Le terme « entreprise étendue » signifie qu'une entreprise n'est pas seulement constituée de ses employés et sa direction mais également de ses partenaires, ses fournisseurs et même ses clients. En effet, au delà de son organisation, une entreprise ne peut plus agir isolément sans tenir compte de son écosystème de fournisseurs, partenaires et clients. Il lui faut associer tous ces acteurs à l'élaboration de sa proposition de valeur et, au-delà, à ses applicatifs et processus. Le fabricant d'automobile doit tenir compte des contraintes de son fournisseur de matières premières. Le professionnel du tourisme doit connaître les attentes précises de ses clients afin de générer des offres. Le vendeur de produits culturels doit intégrer dans son processus de livraison les contraintes du transporteur.
 
On peut compléter cette définition par une vision interne de l'entreprise étendue. Autrefois sédentaire et localisé, le travail des collaborateurs s'ouvre vers d'autres formes. La multiplicité des canaux d'accès aux applications et données et la diversité des outils de communication et de collaboration permettent d'envisager le travail à distance et le nomadisme. Le commercial doit pouvoir accéder au catalogue de produit depuis le bureau de son client. De même, le chef de projet doit pouvoir organiser de son domicile une réunion avec les membres de l'équipe aux quatre coins du monde. Aujourd'hui employé par l'entreprise, le statut du collaborateur change. Des entreprises comme P&G ont par exemple externalisées une partie de leur recherche et développement, cœur de l'offre de la compagnie.

Un modèle complexe à mettre en oeuvre

L'entreprise étendue nécessite de mettre en place un modèle d'organisation qui :
  • supporte sans rupture des processus de bout-en-bout quelque soit les participants, sans perte d'informations de la manière la plus efficace et économique,
  • aide les différents participants à communiquer et collaborer dans le cadre de ces processus, afin de résoudre les problèmes et les exceptions éventuelles
  • et  permet aux experts et aux clients d'échanger et de réfléchir sur ces processus afin de les améliorer. 

Dans toutes les expériences réussies de mise en œuvre d'entreprise étendue, un certain nombre de facteurs ont été pris en compte qu'il est important de souligner ici.
  • Une vision globale qui tienne compte de toutes les composantes de l'entreprise, non seulement les différents départements internes de l'entreprise mais également les fournisseurs, les partenaires et, bien sûr, les clients.
  • Une transformation en organisation à services partagés qui offre un ensemble d'entités et d'éléments agiles composables facilement.
  • Un langage commun qui garantisse la transmission des informations et des données correctes entre les participants sans oblitérer la liberté d'organisation interne de chaque entité.
  • Un modèle organisationnel, des services et des processus ouverts et interopérables entre les différentes entités qui permettent des assemblages souples et adaptables

Les écueils

Séduisante sur le papier, cette idée de l'entreprise étendue rencontre pourtant des obstacles dans sa mise en œuvre. On peut en citer quelques uns.

  • La perte par l'entreprise de connaissances, expertises et compétences nécessaire à l'élaboration de la proposition de valeur et donc de l'avantage compétitif.
  • Un risque de contrôle insuffisant. Par exemple, la mauvaise réactivité d'un partenaire peut perturber le fonctionnement de toute la chaine.
  • L'organisation matricielle et fédérale est une solution de management pouvant être très performante et adaptative, mais aussi très exigeante, avec des risques de blocages difficiles à anticiper.
  • L'intégration informatique des divers partenaires est difficile non pas au niveau technique mais au niveau fonctionnel. Elle nécessite une coordination organisationnelle rigoureuse.
  • Enfin, l'aspect humain est primordial. Les dissensions propres à toute organisation sont plus difficiles à contrôler. Nous sommes ici dans un modèle fédéral sans direction hiérarchique ou chaque partenaire n'est uni aux autres que par un contrat. Elément clé des relations entre l'entreprise et ses clients, le contrat doit devenir la brique angulaire entre l'entreprise et tous ses partenaires et également utilisé pour fluidifier les relations internes dans l'entreprise.

La technologie au service de l'entreprise étendue

A ce nouveau modèle organisationnel, la technologie qui évolue apporte un support efficace qui facilite la mise en œuvre et l'exécution de la stratégie de l'entreprise.
 
D'abord, nous sommes entrés dans une nouvelle ère centrée sur l'Internet et le Web où l'interopérabilité devient le mot clé. Avec ce réseau universel et ses technologies (TCP/IP, services Web...), les différents processus des partenaires peuvent s'intégrer et échanger informations et données sans se soucier des infrastructures et des technologies utilisées par chacun. Avec l'informatique dans les nuages (Cloud Computing) et à la manière de l'énergie électrique, l'informatique évolue vers une ressource disponible à la demande. Les techniques de développement des applications évoluent vers un modèle de composition et d'assemblage des services, similaire aux lignes d'assemblages d'un constructeur automobile.
Interopérabilité, indépendance, élasticité, assemblage, toutes ces caractéristiques permettent de construire des environnements informatiques fait pour changer, là ou précédemment ils été conçus pour durer.
 
Ensuite, les techniques de communications et de collaborations facilitent les échanges et les interactions entre les participants de l'écosystème. Productivité personnelle (email, suite bureautique), gestion des informations personnelles (agenda, annuaire...), outils de collaboration (fichiers partagés,...) et outils de communication (téléphone, mobile, messagerie instantanée) font partie de la boite à outil de base du collaborateur et le supporte dans son environnement de travail varié (multitâches, déplacement, équipe projet, le weekend...).
 
Enfin, le web 2.0, et ses déclinaisons pour l'entreprise, avec ses blogs, ses wikis et autres réseaux sociaux supporte la réflexion et le partage entre des individus réunis dans des communautés d'intérêt. Identifier l'expert d'un domaine, attirer les talents, comprendre les attentes de clients et prospects, réfléchir à des améliorations et mettre l'innovation au centre de la proposition de valeur sont autant d'avantages que les entreprises avancés dans ces nouveaux modèles organisationnels nous disent en retirer.

En conclusion

L'évolution conjuguée de nouvelles pratiques managériales, de nouvelles formes d'organisation et de l'Internet fait apparaître une interrogation: peut-on encore concevoir l'entreprise traditionnellement comme une Institution avec des frontières internes et externes ?
 
On assiste au développement d'une longue tendance où l'entreprise développe la transversalité interne mais aussi les interrelations avec des tiers variés appartenant à son écosystème (fournisseurs, partenaires, laboratoires de R&D, clients, communautés de clients, etc.) ou encore des pratiques virtuelles.
 
L'entreprise évolue. D'un modèle hiérarchique, elle devient flexible, s'adapte au contexte présent. Elle facilite l'éclosion des communautés qui traversent l'entreprise voire ses frontières. Et les (nouvelles) technologies de l'information et des communications ont facilité cette évolution.
L'entreprise ne serait donc plus uniforme tout en étant plus toujours une entreprise! L'Entreprise Intelligente apparaît... Elle est l'entreprise de demain.

Christophe Toulemonde*

*Christophe Toulemonde est Directeur associé du Cabinet Jeem Research, société de recherches stratégiques et d'analyses opérationnelles; il est par ailleurs auteur sur le blog  L'entreprise intelligente partenaire du Label Orange Label b2b

[1] Source : Fédération du e-commerce et de la vente à distance
[2] Source : 2002 : Université de Berkeley, USA - 2007 : IDC (1 exaoctet = 1018 octets)



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