Car force est de constater que la définition même du CDO reste complexe et ses missions recouvrent souvent une diversité d’activités qui dépend de la nature même des entreprises, de leur maturité intrinsèque et parfois de celle des marchés dans lesquelles elles évoluent, et c’est probablement pour cela que le CDO reste un animal organisationnel encore difficile à appréhender.
Et pourtant qu’ont en commun les banques, assureurs, concessionnaires, constructeurs automobiles, opérateurs de service, distributeurs, points de vente, industriels... Tous ces secteurs sont impactés massivement par le digital et le CDO est celui par qui vient le changement, un changement parfois imposé par une nouvelle concurrence protéiforme mais surtout par une évolution exigeante de l’expérience client.
Le CDO est celui qui se doit de transformer l’expérience client en réinventant les processus parfois séculaires de l’entreprise. Tous ses clients mutent progressivement en utilisateurs digitaux natifs, leurs attentes ont évolué et tous développent un rapport critique au temps qui n’est plus le même. L’écosystème concurrentiel lui aussi s’adapte et s’alimente des tentations de nouveaux entrepreneurs, startups ou acteurs de l’internet qui s’engouffrent et se nourrissent des inefficiences de marchés traditionnels trop bien établis.
Alors…
Le CDO représente et incarne celui qui doit transformer structurellement mais de façon évolutive les processus, pour toujours mieux coller aux attentes du client, en temps réel. Il doit revendiquer d’être un obsessionnel de l’expérience client pour apporter continuellement et de façon durable de la valeur tangible au plus vite dans les mains du client.
Et pour cela, il mesure tout, toutes ses actions, il les analyse en continu, de façon récurrente. Ne serait-ce que pour piloter la valeur créée. Mesurer, c’est aussi éviter de faire des erreurs, c’est apprendre en permanence pour toujours mieux s’améliorer. Le CDO est un archer des temps modernes, il ne rate jamais sa cible, il l’atteint avec une certaine marge d’erreur qu’il cherche à réduire continuelle. Non pas que le CDO n’ait jamais tort, mais il s’améliore en permanence, au quotidien, dans la logique du Lean Startup, d’Éric Ries, en construisant des MVP ou Minimum Viable Product.
Alors quel serait le bon rythme, difficile équilibre entre le tempo des clients et celui de l’entreprise, de ses salariés eux même parfois aussi exigeants que leurs propres clients ? Le CDO doit doser mais imposer une nouvelle cadence inédite pour modifier la perspective du temps et de sa récurrence au sein de l’entreprise. Une demi-heure par semaine sur un sujet avec les équipes multidisciplinaires devient autrement plus profitable que deux heures tous les mois en comité de pilotage. La boucle de rétroaction, le feedback permanent du client devient la clé de lecture que doivent pratiquer au quotidien chacun des décideurs de l’entreprise.
Paradoxalement cette tension créative va créer un sens inédit dans l’entreprise. Car le digital est une opportunité extraordinaire de se réinventer, de repenser les modes de fonctionnement et de recréer du sens au plus près des équipes sur le terrain. Le digital, de par sa nature exigeante et sans concession sur la transparence des données, s’impose face aux clients et aux employés. Il n’autorise pas l’ambiguïté qu’il combat via la mesure systématique des données et des actions. On ne perd plus de temps politique à se cacher où à maquiller une certaine réalité, on ne peut se contenter des célèbres métriques de vanité semblant montrer à l’organisation que tout est au beau fixe. Ce temps gagné redevient focalisé sur l’amélioration des processus et de l’expérience client.
La transparence quasi analytique du digital va alors imposer une collaboration nécessaire entre toutes les entités.
Par voie de conséquences le digital s’impose à tous pour travailler mieux, condition sine qua non pour délivrer de la valeur au client. En cela le CDO ne saurait se cantonner au domaine dit du digital. Si l’expérience client qui le guide est le fait des conséquences du digital sur nos modes de comportement, le CDO ne saurait se restreindre aux simples interfaces digitales. S’il en adopte les techniques (au sens premier du terme) pour mieux transformer l’expérience délivrée au client, son rôle ne doit pas être réduit à une automatisation tous azimut des processus, des interactions marchandes (e-commerce) ou non marchandes (self care) dans une optique monomaniaque d’augmentation du chiffre d’affaire ou de réduction des couts.
Bien sûr que le CDO doit participer à cette logique équation économique, et il est d’ailleurs d’autant plus légitime au sein de l’organisation que justement il participe aux objectifs financiers directs et opérationnels de l’entreprise. Le CDO ne pourra d’ailleurs être pérenne que s’il incorpore ce propre rôle opérationnel, un canal de distribution ou de relation client complémentaire et intégré. Mais le CDO ne peut se réduire à une simple mise en œuvre opérationnelle d’outils et de technologies.
Les codes ont changé, le digital devient une nouvelle discipline managériale
Car le digital questionne les modes et postures managériales, les façons de collaborer dans l’entreprise. Il est le reflet d’une nouvelle forme d’apprenance, héritée des concepts des organisations apprenantes et de la pensée globale systémique décrite par Peter Stenge (La cinquième discipline). Nos modes de fonctionnement doivent évoluer et le digital casse les codes traditionnels du management, impose le feedback systématique du client et du salarié, déroule un rythme et une récurrence qui ne sont plus ceux hérités des modes d’organisations traditionnelles. Tout cela avec des équipes plus autonomes et plus engagées.
Schizophrène le digital ? Difficile de concilier de façon vertueuse l’exigence du digital et des attentes clients avec l’autonomie des équipes ? Justement, c’est bien de l’extrême rigueur que nait l’autonomie et la créativité des équipes. C’est d’un cadre analytique contraignant autour du sens et de l’expérience client (que cherchons-nous à répondre pour le client ? Quel est son problème? Peut-on le mesurer? ) que s’impose le lâcher prise. C’est dans ce contexte que les équipes vont s’épanouir et trouver les solutions adaptées du client parfois et même souvent en dehors du cadre parfois étriqué des organisations.
Intégrer la transformation digitale dans l’entreprise revient à intégrer de nouveaux codes collaboratifs dans les postures managériales.
Quel est alors le bon profil légitime du CDO ?
Le CDO devient alors incarnation de cette nouvelle expérience portée par le digital. Trop technique, il se perdra dans les outils et processus méthodologies, trop stratégique et il perdra toute légitimité face aux business de l’entreprise et s’en retrouvera isolé, et de facto inefficace.
En fin opérationnel, le CDO est ce levier de transformation initialement proche du DSI s’inspirant des modes de conception et de développement de projets agiles. Il se situe aussi à mi-chemin entre le Marketing pour intégrer les nouvelles expériences de façon native et la relation client traditionnelle (boutiques, call center) pour en assurer sa complémentarité. S’il doit conserver un cap et une vision, il doit intégrer comme une nécessité des missions et des résultats opérationnels pour rester au contact de l’entreprise
Mais de plus en plus, digital et management vont nécessairement de pair. Le CDO se rapproche de la fonction RH pour incarner des nouveaux modes de fonctionnement. Exigence expérience client, mesure des données et analytiques, feedback permanent du client, gestion des risques et mode d’apprentissage permanent. Dans ce nouveau monde du digital, chacun des salariés n’amasse plus des connaissances mais développent des capacités pour bâtir le futur de l’entreprise, et redevient acteur de son propre développement de compétences. Le CDO devient l’un des catalyseurs perturbateurs (Maverick diraient aussi les Anglo-saxons) d’une organisation qui s’organise pour apprendre collectivement.
Le CDO est en 2017 cette combinaison de digital et d’humain. Le CDO est alors cet alchimiste caméléon qui cherche à transformer le plomb, processus de l’entreprise, en or, avec une formule qui évolue en permanence avec ses utilisateurs. Alors est-il soluble dans l’organisation ? Plus que jamais sa posture empathique, non conformiste est la nouvelle norme managériale, semblable au profil en T des méthodes de Design Thinking.
Dans Philip K. Dick raconte dès 1966 dans son roman de science-fiction Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (adapté au cinéma par Ridley Scott sous le titre Blade Runner), Rick Deckard est un chasseur d’androïdes à San Francisco, il rêve de remplacer son mouton électrique par un vrai mouton dans un monde où l’empathie est devenue si rare qu’elle est la première des richesses érigée en qualité absolue.
2017 plaide probablement plus pour cette alliance entre le digital et l’humain et remet dans le bon cadre cette transformation digitale dont l’enjeu et l’opportunité reste d’abord et avant tout humaine, loin d’une technophilie qui se voudrait omnipotente. Et le CDO dans cette mission ne rêve pas de moutons électriques. Bien au contraire. Il rêve d’humanité et de bienveillance, et il ne semble pas prêt de disparaître.
Xavier
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Diplômé du Corps des Mines, ainsi que d’un MBA Exécutif ESSEC-Mannheim, je travaille dans les Télécoms et l’internet depuis vingt ans et mène aujourd’hui ma mission de Directeur du Digital du marché Entreprises et Professionnels, en charge de la transformation du marché B2B d’Orange France.
Cinéphile averti, je suis co-auteur du livre Tout savoir sur Big Data, le cinéma avait déjà tout imaginé et Au secours, ma vie se digitalise! aux éditions Kawa, ainsi que du MOOC sur le même thème en partenariat avec l’ENSAE ParisTech. Je suis par ailleurs investi dans l’écosystème des startups en tant que membre du Board de Hxperience, une plate-forme Smartbuilding autour de l’Internet des objets.