Après tout, ne sont-elles pas le reflet des goûts d'une population, de ses attentes, de sa propension à se faire plaisir ? Il est vrai que la table de Yannick Alléno est engageante et qu'il est difficile de résister à son inventivité. Et là, Younghee Lee, Miss Lee, comme on l'appelle chez Samsung France, a trouvé l'espace d'un matin le miroir de sa rigueur et de sa créativité. La cuisine de Yannick Alléno c'est d'abord une connaissance parfaite des bons produits puis un assemblage qui tient plus du jazz que de la musique de chambre. Les téléphones de Samsung ? De la rigueur dans le choix des composants et un assemblage qui va coller aux goûts de celui ou de celle qui va l'acheter, n'importe où sur la planète.
Miss Lee est la première femme à briser le plafond de verre chez Samsung et à atteindre un poste aussi important. Elle se refuse à porter les sombres tenues d'executive woman, moches et insipides, que la gent féminine se doit d'arborer dans les grandes firmes sud-coréennes. Younghee Lee, aime les couleurs, les beaux habits, le chic, le style, la classe, et bousculer les pratiques courantes. «J'adore Yves Saint-Laurent et sa mode féminine, affirme-t-elle. J'ai un corps relativement petit et j'ai la chance de pouvoir me glisser dans les vêtements sans avoir besoin d'ajustement. J'aime aussi Gucci pour son look moderne et avant-garde, et Valentino pour ses robes de soirée. Parfois, une femme a besoin de glamour ». Sa garde-robe quotidienne ? Elle la choisit « en suivant le protocole TPO : Time, Place, Occasion. On doit être smart pour choisir ses habits. Cela dépend du moment de la journée et qui on va rencontrer ». Elle ne dédaigne pas les jeans pour rencontrer ses amis.
Cette énergie, iconoclaste pour les business women sud-coréenne, tombe à point nommé chez Samsung . Lors du dernier Mobile World Congress de Barcelone, qui a réuni la fine fleur de l'industrie, le géant Sud-coréen n'a pas hésité à promettre des gains de parts de marché alors que le secteur de la téléphonie devrait subir une contraction d'au moins 10% en 2009.
Pour gagner son pari, Samsung a besoin d'une gamme complète de produits, «mais nous avons surtout besoin de bien connaître le consommateur, assure Miss Lee. C'est le point le plus important. Tous les fabricants sont capables de produire des téléphones utilisant le dernier cri de la technologie mais cela ne veut pas dire qu'ils se vendront bien. Le marché ne se définit pas par une seule compétition de technologie ou de fonctionnalités. Il faut absolument connaître les besoins et les désirs du consommateur. Et être capable de les représenter avec un téléphone ». Elle ne laisse rien au hasard. L'année dernière, ses prestataires de services ont conduit 25.000 interviews de clients.
Elle a appris cette rigueur au fil du temps. Younghee Lee est membre de cette caste de jeunes cadres sud-coréens qui partent à l'assaut du monde occidental après leurs études. Dans son cas, après une licence es lettres de l'université de Yonsei obtenu en 1983, elle prend la direction des Etats-Unis. La Northwestern University l'accueille. En 1989, elle y décroche un mastère en science de la publicité de la Medill Scholl of Journalism.
Pendant 2 ans, elle travaille chez l'agence de publicité Leo Burnett, d'abord à Chicago puis à Séoul. Cependant, le travail ne lui convient pas. « Il faut faire des compromis en permanence et j'étais trop jeune pour l'accepter, se souvient-elle. J'ai donc décidé de devenir client des agences de pub ». Unilever l'embauche pour la Corée. Elle y apprend les bases solides du marketing : la recherche client, le positionnement des produits, la faisabilité d'un lancement. Elle sillonne l'Asie pour Unilever et aide à positionner des marques comme Lipton.
Après 6 ans et demi de bons et loyaux services, elle est remarquée par l'Oréal. A l'époque, le groupe français est numéro 1 en Corée pour Lancôme, possède une bonne place pour Helena Rubinstein et a positionné Biotherm comme une marque de luxe. En revanche, les marques grand public sont à la traîne (Maybeline, Garnier) et Vichy et La Roche-Posay ne sont pas présente sur le marché.
L'Oréal propose à Miss Lee de faire le saut, de conserver une casquette marketing mais de lancer un véritable business. « Cela m'a tout de suite plu, confie-t-elle. J'ai lancé Vichy dans les pharmacie coréenne et La Roche-Posay dans les cliniques dermatologiques ». Les pharmaciens coréens ne savent pas vendre des cosmétiques ? Qu'à cela ne tienne. Elle se débrouille pour les former. Incidemment, L'Oréal lui permettra de passer un MBA à l'Insead (2001).
Ses succès sont remarqués par Samsung qui la contacte pour ses produits blancs. Elle refuse mais le géant sud-coréen revient à la charge pendant un an. Finalement, elle accepte en juillet 2007 et prend la responsabilité mondiale du marketing des téléphones portables. Elle compte appliquer ce qu'elle a appris ailleurs en capitalisant sur ses atouts. « Je suis coréenne mais je m'intéresse aux cultures du monde entier, assure Miss Lee. C'est mon propre avantage compétitif. J'adore cuisiner le week-end mais comme je n'en ai pas souvent le loisir, j'ai demandé à mon mari de prendre des cours de cuisine. Il connaît maintenant la cuisine italienne. Son prochain cours sera sur la cuisine française. Grâce à mon travail chez L'Oréal, j'ai appris à apprécier le vin français pendant les repas ». Délégation des tâches, opportunité d'apprendre autre chose et mise en perspective des différences culturelles s'inscrivent parfaitement dans la stratégie de Samsung. Car si l'approvisionnement en composants et la maîtrise de la chaîne logistique sont des points cruciaux pour s'imposer dans les téléphones portables, cela ne suffit plus car le cycle de vie des produits s'est considérablement accéléré. « Il y a trois ans, la technologie évoluait rapidement mais une gamme de produit pouvait durer trois ans, précise-t-elle. Aujourd'hui, la durée de vie d'un produit est de trois mois ». Et sur cette accélération est venue se coller la crise économique.
Autant dire qu'il faut regarder la réputation de la marque Samsung comme le lait sur le feu et faire attention aux changements de goût des clients. « Les fabricants ne contrôlent plus le choix des clients comme autrefois, note Miss Lee. Ils ne peuvent que suivre les évolutions de tendance en conservant une bonne charge émotionnelle dans leur produit ».
Elle avoue posséder un système de traçabilité et d'évaluation de ses campagnes marketing très performant. Mais il resterait inefficace sans la qualité, le style et le message véhiculé par les téléphones Samsung. « Nos designers ont beaucoup de talents et ils s'efforcent de ne pas manquer les grandes tendances en matière de style, précise Miss Lee. Ils se déplacent dans le monde entier pour visiter des musées, des expositions d'architectures, des défilés de mode et les nouveaux restaurants ». Et elle, le fait-elle ? Bien sûr, dès qu'elle le peut, mais « j'ai moins le temps depuis que j'ai rejoint Samsung », soupire-t-elle. C'est peut-être le seul regret suscité par son nouveau job. Elle a suffisamment de corde à son arc pour s'en consoler. Ainsi, elle adore la musique, un héritage familial puisque son père est musicologue, son frère aîné joue de la flûte et sa sœur est pianiste professionnelle. « J'avoue avoir des goûts éclectiques et, de temps en temps, j'aime écouter Mama Mia, confie Miss Lee. C'est excellent pour la forme ».
Son secret est surtout d'être bien dans sa peau et d'aimer ce qui est beau : « La beauté se décline en trois dimensions. Il y a certes l'apparence extérieure mais aussi la beauté intérieure et la manière de s'adresser aux autres. Pour le mettre en pratique, j'essaye toujours de bien m'habiller mais aussi d'être à l'aise dans mon environnement. La communication est sans doute le facteur le plus important de ma trilogie sur la beauté. Et pour le coté spirituel, je joue du piano chaque fois que j'ai un peu de temps. Et bien sûr, je dévore les magazines de mode et de décoration intérieure ».
Miss Lee est aujourd'hui un exemple pour les jeunes femmes coréennes qui débutent une carrière professionnelle. Quand elle était petite, elle n'aurait jamais imaginé la sienne. « J'étais première de l'école sur 500 élèves, explique-t-elle. Je voulais faire plaisir à mes parents et c'est eux qui ont choisi mon mari ». De cette gangue familiale est sortie une personnalité qui fait trembler les concurrents de Samsung.
nsp