« La télé-expertise permet à un professionnel médical de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux par l’intermédiaire des technologies de l’information et de la communication » (article R.6316-1 du CSP). Cet échange d’informations peut être synchrone ou bien asynchrone, et se déroule entre un médecin « requérant », demandeur qui est à l’initiative de la prise de contact avec un confrère, et un médecin « requis », sollicité pour son expertise.
Un passage dans le droit commun répondant à un besoin de sécurité et de traçabilité
Plusieurs éléments indiquent que le recours à la télé-expertise est déjà fréquent, certaines configurations de prise en charge y étant particulièrement propices : diagnostics de plaies en suivi post-opératoire, interprétation de clichés de radiographie ou d’IRM dans des zones à faible densité médicale, recours à des expertises pointues pour des patients atteints de maladies rares… La volumétrie précise de ces actes est néanmoins difficile à mesurer, une grande partie des sollicitations entre acteurs médicaux étant informelles, et donc non traçables (échanges de mails, appels, SMS).
41% des médecins interrogés dans le baromètre Odoxa sur les nouveaux usages en santé (Baromètre santé 360 : Nouveaux usages en santé, Odoxa, Mars 2018) indiquent utiliser leur smartphone personnel pour recevoir des informations patients de la part de leurs confrères pour avis ou expertise. La pratique informelle de la télé-expertise expose pourtant les professionnels et patients à des risques : les données échangées via SMS ou mail personnel des praticiens ne sont pas sécurisées, les exposant à des risques de piratage, mais aussi de perte d’informations, ou d’absence de responsabilité en cas de diagnostic erroné. De plus, le contenu des échanges n’est pas tracé alors même qu’il peut s’agir d’éléments importants devant figurer dans le dossier du patient. La traçabilité de la télé-expertise est par ailleurs importante pour les professionnels de santé requis.
Malgré cela, la télé-expertise apporte des réponses convaincantes à plusieurs défis de santé publique actuels. Afin de sécuriser les pratiques, le choix a donc été fait de l’inscrire dans la nomenclature des actes de la CNAM en 2018, ouvrant la possibilité d’une rémunération des professionnels de santé au titre de leur pratique de la télé-expertise, et sous réserve de respecter plusieurs critères précis (périmètre de patients bénéficiaires, plafonnement des actes…). Cette entrée dans le droit commun a le potentiel de faire évoluer significativement les usages, à la mesure toutefois des tarifs retenus à l’issue des négociations conventionnelles. Ces tarification sont articulées autour de deux niveaux de complexité des actes, vont de 12€ à 20€ par acte pour le médecin requis, et rémunèrent exclusivement les médecins.
Une évolution des usages de télé-expertise dépassant les enjeux de tarification
L’évolution des usages en matière de télé-expertise ne dépend néanmoins pas uniquement de la tarification des actes. En effet, l’appropriation de nouveaux usages est aussi conditionnée par la conception d’outils adhérents aux usages des professionnels, et à des actions de conduite du changement appropriées :
- Sur le plan technique, un accès en mobilité est important pour permettre aux médecins d’accéder aux éléments depuis leur smartphone (tant du point de vue du requis que du requérant). De même, une fonctionnalité de facturation intégrée aux solutions de télé-expertise semble impérative. A cet égard, l’interopérabilité avec les systèmes d’informations existants sera un enjeu d’envergure, et l’interface avec les documents de liaison (ex : courrier de recommandation), digitalisés ou non, peut être étudiée.
- Sur le plan de l’ergonomie, la simplicité d’utilisation des solutions est essentielle pour convaincre les requérants et requis d’adhérer à une solution ou une autre. Le panel des fonctionnalités doit répondre à des besoins concrets des professionnels, afin que ces solutions de télé-expertise soient sources de gains de temps pour leurs utilisateurs, et ne complexifient pas leur pratique. La souplesse de ces solutions doit permettre de coller aux configurations de télé-expertise existantes. Par exemple, la capacité à intégrer le rôle des professionnels non médicaux à l’utilisation des solutions de télé-expertise (vérification de la complétude du dossier patient,…) pourrait contribuer à leur développement.
- Sur le plan de la communication, une communication incitative est à déployer en établissements de santé, viviers de praticiens requis dans les télé-expertises, ainsi qu’auprès de la médecine de ville, afin de sensibiliser les professionnels à ces nouveaux usages. Le déploiement d’une assistance technique et de formations à l’utilisation de ces solutions doit être envisagé.
La réussite d’une stratégie nationale de télémédecine repose également sur l’implication des acteurs publics et organisations professionnelles. Cela peut être illustré par l’exemple de MedCom au Danemark, organisme regroupant les autorités publiques (centrales et locales), collectifs de professionnels de santé ainsi que les acteurs privés du secteur. MedCom accompagne et sécurise le partage de données de santé en développant par exemple des standards d’échanges de données pour la télémédecine. Parallèlement, des centres régionaux de compétences se concentrent sur la mise en place des outils de partage. L’hôpital universitaire d’Odense est par exemple le centre de référence en télémédecine avec le soutien de MedCom. A titre d’exemple, plus de 80% des courriers de recommandation du médecin généraliste à l’hôpital sont digitalisés au Danemark, et 99% des lettres de décharge de l’hôpital au médecin généraliste (Rapport « eHealth in Denmark, eHealth as part of a cohrent Danish health care system »), facilitant ainsi leur interfaçage avec les solutions de télé-expertise.
Afin de proposer des solutions de télé-expertise adaptées, il convient donc de partir des usages en associant notamment des professionnels de santé à leur conception, et d’accompagner le changement sur le plan organisationnel avec l’appui de toutes les institutions. Dans un contexte de tension importante sur la gestion des dépenses de santé, et face à la multiplication des outils digitaux dans le quotidien des professionnels, la contribution de ces outils à l’efficience opérationnelle des soignants est une condition sine qua none de leur adoption.
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Consultante dans le secteur de la santé depuis 2014, j’ai d’abord travaillé dans le domaine de la santé publique sur des projets de stratégie, organisation, et évaluation de politiques publiques nationales et locales. Je travaille maintenant sur la e-santé, autour de sujets d’innovation pour des clients du secteur privé.