l'exigence croissante des clients : une formule toute faite ?

Impossible aujourd’hui d’ouvrir une revue, un blog ou une étude sur la relation client qui n’évoque «l’exigence croissante du client ». Cela fait partie de ces formules un peu convenues, si courantes qu’on oublie de les interroger sérieusement. Que signifie cette expression ?

La tendance à utiliser le terme de «client » à la place de consommateur, déjà m’interroge. On s’adresse bien à un marché composé de clients et de non clients, ou de prospects, n’est-ce pas ? Trop souvent aussi, on entend parler « DU » client. Voilà qui simplifie un peu trop la réalité, réduisant la diversité et la complexité de la réalité à une catégorie « construite », simpliste.

Sur cette idée selon laquelle les clients seraient « avertis, vigilants, volatils », je m’interroge enfin.

  • Volatil, soit, encore que l’attachement à une marque me semble être quelque chose de bien complexe, et malaisé à évaluer.
  • Averti ? oui, peut-être. Beaucoup d’informations commerciales ou techniques sont, c’est vrai, à la disposition de ceux qui veulent s’informer. Beaucoup d’informations publicitaires, aussi, et beaucoup de « non-informations ». Certes le consommateur est plus informé mais quel est le statut de ces informations qui nourrissent les clients ? Le client informé est-il pour autant plus averti ? Ce serait à voir.
  • Exigeant enfin ? Je regarde autour de moi. Je vois des gens capables d’attendre des heures devant une boutique pour avoir le dernier Smartphone. Je vois des consommateurs liker des Fan Pages. Je vois des clients respecter les procédures kafkaiennes pour obtenir une commande, un service…

Est-ce que cela signifie que l’on va vers une différenciation forte des modèles de service et de prix ? Autrement dit, au consommateur exigeant et prêt à payer, on proposerait un niveau de service supérieur à un consommateur qui réduirait son exigence en fonction du prix ? Dans ce cas, le client ne serait plus « de plus en plus exigeant ». Les clients seraient plus vigilants sur un certain rapport entre qualité de service et prix du service. Soit. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

La sociologie aime à rappeler que « Le » client est une construction sociale, une « figure », qui cache une réalité plus difficile à saisir. Cette « figure » du client volatil, exigeant et averti serait, me semble-t-il, à creuser, à interroger et à déconstruire. Ce qui est sûr, c’est qu’elle laisse entendre que ce sont les clients qui sont à l’origine de toutes nos transformations, que la relation client évolue sous l’impulsion des transformations du marché. Et c’est au fond bien commode. Mais la réalité est sans doute plus complexe : les évolutions reposent, on le sait, sur un savant mélange entre stratégies d’entreprises, opportunités technologiques et opportunités du marché.

Prenons garde à connaître les consommateurs avant d’en construire une figure rhétoricienne. Ne faisons pas du client la justification de tous crédit photo : nos changements. Assumons le fait qu’irrémédiablement nous transformons, aussi, nos clients, autant que leur exigence ne nous transforme !

Marie BENEDETTO-MEYER

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Marie Benedetto Meyer

Je suis sociologue du travail et des organisations, chercheure dans le laboratoire SENSE (Sociology and Economics of Networks and SErvices) d’Orange Labs. Mes travaux portent sur la manière dont les nouvelles technologies transforment les métiers et l’organisation de la relation client. Je réalise des études sous formes d’analyses d’usage, de suivi d’expérimentations, de benchmarks ou d’enquêtes qualitatives, à Orange ou dans d’autres entreprises. Je travaille notamment sur les innovations en centres d’appels, les transformations de la RC liée au Web 2, à la prise en compte des parcours intercanaux des consommateurs. Mon travail consiste à dégager des tendances, à aider à la conception de dispositifs innovants et à formuler des recommandations sur la manière d’accompagner les changements auprès des professionnels de la relation client. Je publie également dans des revues ou des ouvrages académiques et j’enseigne à l’université et dans des écoles d’ingénieurs.