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un moyen de recomposer la relation client-conseiller
Dans les deux centres étudiés, la relation client par chat remporte un grand succès et suscite un réel enthousiasme de la part des clients : ces derniers écrivent souvent, en fin de session, des mots d’encouragement et de remerciement aux conseillers avec lesquels ils viennent d’avoir un chat. Ce canal est moderne, rapide, et les échanges y sont finalement moins routinisés que par téléphone. De leur côté, les conseillers, tous issus de centres d’appels téléphoniques, apprécient cette nouvelle activité, qui les change de leur activité précédente.
comment expliquer plus avant ce succès ?
Nous allons voir que certains aspects relèvent des possibilités qu’offre le média en lui-même, alors que d’autres éléments semblent davantage liés aux choix organisationnels définis par l’encadrement local. Premier élément qui explique le succès du chat : les formes d’interactions y sont différentes. Elles sont, d’après l’ensemble des conseillers, beaucoup moins conflictuelles que par téléphone. La relation écrite, même si elle est synchrone, limiterait l’escalade des propos agressifs et permettrait, de part et d’autre, le maintien d’une certaine distance. Les conseillers s’entendent pour dire qu’il y a moins de propos désagréables par chat.
Deuxièmement, l’effet de nouveauté, le caractère innovant, encore privilégié, de cette forme de relation client y est probablement pour quelque chose. Enfin, la relation y est finalement plus personnalisée. En effet, bien que se déroulant à distance et par écrit, la relation par chat est plus souple, moins normée. Le simple fait que le prénom du conseiller s’affiche dans la fenêtre de dialogue donne un caractère plus personnel à la relation. Mais surtout, les conseillers n’ont pas de scripts, et s’il existe des « bibliothèques de phrases » pré-rédigées qui peuvent être utilisées par le conseiller au cours de l’échange (notamment des phrases de mises en attentes, ou des questions-type à poser au client,…), celles-ci ne sont pas obligatoires à utiliser (à l’exception des phrases d’accueil et de clôture de la conversation).
Ce gain d’autonomie est renforcé par le fait que les conseillers ont ici une nouvelle posture : ils sont davantage dans du conseil, de l’aide au choix d’un produit ou d’un forfait que dans de la vente pure. En effet, le consommateur, une fois accompagné dans sa décision ou son parcours sur le web, est invité à poursuivre ses achats en ligne (le lien avec le canal téléphonique n’est, en revanche, pas possible). Pour renforcer cette posture de conseil, le choix a été fait de supprimer les éléments de rémunération variable associés à la vente pour les conseillers chat.
L’ensemble de ces éléments donnent à la relation par chat un caractère novateur, changeant indubitablement de la relation téléphonique et apportant, aux dires même des conseillers « une bouffée d’air ». Cette activité leur permet d’exercer différemment leur métier. Dans un des centres, le choix a été fait d’alterner, pour les conseillers, demi-journées chat et demi-journées téléphone. L’activité y est encore moins routinière. On comprend que les choix, en termes d’organisation du travail, ont ici toute leur importance dans la réussite du chat : celui-ci est synonyme de gain en autonomie et rompt avec une certaine image du travail en centre d’appel.
Rendez-vous dès demain pour la dernière partie de l'article "de nouvelles compétences à acquérir, liées à des formes d’interaction nouvelles".
Marie Benedetto-Meyer
crédit photo - Sergej Khackimullin - Fotolia.jpg
Je suis sociologue du travail et des organisations, chercheure dans le laboratoire SENSE (Sociology and Economics of Networks and SErvices) d’Orange Labs. Mes travaux portent sur la manière dont les nouvelles technologies transforment les métiers et l’organisation de la relation client. Je réalise des études sous formes d’analyses d’usage, de suivi d’expérimentations, de benchmarks ou d’enquêtes qualitatives, à Orange ou dans d’autres entreprises. Je travaille notamment sur les innovations en centres d’appels, les transformations de la RC liée au Web 2, à la prise en compte des parcours intercanaux des consommateurs. Mon travail consiste à dégager des tendances, à aider à la conception de dispositifs innovants et à formuler des recommandations sur la manière d’accompagner les changements auprès des professionnels de la relation client. Je publie également dans des revues ou des ouvrages académiques et j’enseigne à l’université et dans des écoles d’ingénieurs.