Pascal Boulard: Quelles sont les nouvelles formes prises par la relation client ?
Paul Pietyra: L'explosion des modes d'expression que nous connaissons depuis une dizaine d'année a eu un impact structurant sur la notion d'influence et de pouvoir. Sans renverser totalement les logiques dominantes des marques, le phénomène a créé un espace gigantesque en dehors du contrôle directe de l'entreprise, dans lequel les consommateurs de tous ordres peuvent diffuser en un temps très court des opinions, des messages, des témoignages. Cette action prend parfois des formes organisées, parfois elle reste diffuse mais la masse des intervenants conduit régulièrement à des logiques de communautés de plus en plus multiples. La discussion engendrée par ses communautés se passe parfois sans l'entreprise, qui ne s'est pas adaptée à une réelle explosion de ses frontières.
Dans ce contexte, on peut parier sur une évolution forte de la relation client qui devrait jouer un rôle toujours plus important. Elle permet, en effet, de replacer en permanence le client au centre des processus de l'entreprise. Cela peut apparaître comme une banalité partagée par l'ensemble des professionnels du secteur. Toutefois, entre l'affirmation, même la compréhension, et la réalité des entreprises, l'écart peut apparaître important, en tout cas on le constate tous les jours sur le terrain.
La complexification des échanges avec le client, leur démultiplication, leur vitesse, implique que la relation client s'inscrit de plus en plus, non plus comme un maillon d'un processus de vente ou d'après-vente, de fidélisation, mais au cœur de la relation de service, synonyme d'échange à forte valeur avec le client.
Les dernières années ont conduit à un déplacement radical du centre de gravité de la création de valeur vers les services. Dans la majeure partie des économies développées, ces derniers représentent 75% du PIB et des emplois. Cette évolution pose la question du positionnement de la relation client. Les services étant coproduits avec le client, la relation client n'est donc plus un complément d'un produit, d'une technologie, mais devient une clef de la croissance des entreprises. Cela nécessite une montée en qualité des échanges, avec différentes dimensions encore peu prises en compte, qu'il s'agisse de l'expérientiel et encore mieux du transformationnel. Face à l'accélération des changements de notre société, de la croissance de l'incertitude, sans forcément l'exprimer, le client est confronté à un besoin croissant d'accompagnement de son évolution au sein de cet univers perturbant, ce qui va bien au-delà des notions de satisfaction ou d'expérience réussie.
Peut-on imaginer de nouveaux services créateurs d'emploi pour la relation client ?
Les mutations liées aux outils de communication ont bien évidemment un impact majeur sur les potentiels de création d'emplois par la relation client. J'ajouterais qu'il y a au moins deux autres facteurs très encourageants.
La relation client dispose ainsi d'un formidable potentiel lié au phénomène de la transformation de l'industrie et du commerce. Poussées vers l'offre globale, les produits hybrides, les systèmes produits-services, les entreprises industrielles vont devoir faire face à des changements radicaux, dans une logique d'offre de solution. Déjà de nombreux acteurs ont bouleversé, pour ne pas dire renversé leurs cycles R&D, développant d'abord la solution, puis le produit qui pourra s'y intégrer. Autant de nouveaux acteurs qui auront besoin de développer leur approche de la relation client.
Ce levier est d'autant plus important qu'il s'applique aux PME. N'oublions pas qu'elles sont près de 2,6 millions et qu'elles représentent près de 90% des emplois.
Le deuxième facteur relève de la complexification de l'économie, avec une démultiplication des intermédiaires, des intégrateurs, des assembliers, des réseaux de toutes formes. Ces nouvelles formes d'organisation, pour fonctionner, nécessitent des communications interentreprises accrues et un lien permanent avec le client qui fait partie de ce que chez Nekoé, nous appelons des écosystèmes de services. La relation client peut y trouver de nouvelles formes d'expression, nettement plus intégrées à tous les étages du cycle du service multi-opérateurs.
Ces deux facteurs auront également un autre impact positif sur l'emploi, à savoir une montée en qualité des profils des acteurs de la relation client. Les discussions avec les entreprises font remonter un réel besoin de salariés toujours meilleurs techniciens, mais également avec de fortes compétences communicationnelles, comportementales et de fonctionnement en réseau.
La relation client liée au téléphone portable ouvre-t-elle de nouvelles opportunités ?
On le constate au sein des projets Nekoé, le NFC, les applications sur smartphone, sont de formidables générateurs d'univers de services nouveaux permettant de rendre cliquable le monde qui nous entoure. Ces opportunités sont également une exigence, car en plus de l'explosion des frontières de l'entreprise, ces outils engendrent un univers avec des acteurs démultipliés devant coexister, coévoluer ensemble. Le client est confronté à une galaxie de territoires de marques qui s'entrechoquent ou se fertilisent, avec un risque de s'y perdre. La relation client a encore une fois, un rôle majeur à jouer.
Cela est d'autant plus vrai que les outils restent des outils. On pourrait dire, de manière un peu polémique, que les outils communautaires comme Facebook, Twitter ou Viadeo restent d'importants échecs en termes de place de la relation client. La création de valeur dans l'échange entre les membres, entre les marques et les membres, est bien entendu présente, nouvelle, mais totalement imparfaite. Encore une fois, sur le terrain une grand part de patrons ou de cadres n'en tirent qu'une part infime de valeur, comparativement aux potentiels de telles plateformes. Cela démontre simplement que la relation client n'est pas adaptée et que les processus de matching ne sont pas maîtrisés, et encore moins industrialisés.
Est-il possible de créer de tels services en France ?
Nous pouvons être très optimistes sur les potentiels de création de services nouveaux en France, qui témoigne de nombreux succès. Cependant, alors que dans l'industrie et les technologies les processus d'innovation sont largement maitrisés, dans les services peu d'entreprises sont conscientes de l'importance d'innover. Une récente étude conduite par AT Kearney prouve même que les KIS (Knowledge intensive services) privilégient la croissance externe pour leur développement, pensent qu'elles ne peuvent améliorer significativement leur innovation et ne perçoivent pas l'importance des investissements qu'il faut fournir pour innover. C'est très inquiétant, d'autant que dans de nombreux pays les logiques de service design ou d'innovation par les services sont rentrées dans les mœurs des entreprises. Dans ces démarches d'innovation la relation client doit faire partie intégrante du processus, au sein de la relation de service.
Propos recueillis par Pascal Boulard
nsp